Quelques éclairages sur la situation du propriétaire dont le terrain est incorporé dans le domaine public maritime.

L’augmentation du niveau de la mer entraîne l’incorporation des parcelles submergées dans le domaine public maritime, c’est-à-dire un transfert de propriété au profit de l’Etat. S’ils ne parviennent pas à contester cette incorporation, se pose alors pour les propriétaires concernés l’épineuse question de leur éventuel droit à indemnisation.

 

1. L’incorporation dans le domaine public maritime :

Les riverains du littoral apprennent parfois de manière très brutale, par une « contravention de grande voirie », que le bien qu’ils possèdent -et que parfois possédaient déjà leurs aïeuls- est revendiqué par l’Etat, sur le fondement d’une incorporation de fait dans le domaine public maritime.

L’article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit notamment que « le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles […] ».

Les « perturbations météorologiques exceptionnelles » s’entendent des périodes de tempêtes.

A ce titre, les marées d’équinoxe ne constituent pas une perturbation météorologique exceptionnelle, le niveau atteint par la mer lors de ces périodes entraîne l’incorporation des  terres recouvertes par la mer (en ce sens, Conseil d’Etat, 12 octobre 1973, Kreitmann, n° 86682).

Si les préfectures peuvent procéder de leur initiative, ou sur demande d’un tiers, à une délimitation du domaine public maritime, l’incorporation ne résulte pas de cette procédure administrative -qui est purement recognitive- mais du seul constat du niveau atteint par les plus hauts flots.

 

2. Comment combattre juridiquement l’incorporation dans le domaine public maritime ?

Pour contester ce transfert de propriété, le propriétaire devra :

  • soit établir que son terrain n’est pas recouvert par les plus hautes eaux,
  • soit démontrer que son titre de propriété résulte « d'aliénations antérieures à l'Edit de Moulins de février 1566 ou de ventes de biens nationaux [c’est-à-dire à l’époque de la Révolution] » (article L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques).

 

La première possibilité de contestation peut se faire de manière objective, en constatant si les terrains sont, ou non, submergés pendant les plus fortes marées de l’année.

 

En revanche, démontrer que le titre de propriété remonte à l’édit de Moulins de 1566  ou résulte de la vente de biens nationaux suppose non seulement de retrouver les titres en question ; d’établir que les titres de l’époque, qui portent parfois sur des superficies considérables, recouvrent les parcelles en cause ; et enfin, de démontrer que les droits féodaux décrits dans lesdits titres se réfèrent « expressément » à des droits réels semblables au droit propriété au sens du code civil (ce qui constitue un bel anachronisme) et impose de recourir à une expertise judiciaire (en ce sens, Cours Administrative d’Appel de Nantes, 12 octobre 2015, n° 15NT01651).

 

3. Le propriétaire peut-il reprendre les terrains submergés qui lui appartenaient ?

La jurisprudence admet qu’un propriétaire puisse entreprendre des travaux destinés à protéger son immeuble contre l’avancée des flots dès lors que les ouvrages sont édifiés sur des terrains qui n’ont pas déjà été recouverts par les plus hautes eaux (en ce sens, Cour Administrative d’Appel de Nancy, 19 mars 1992, n°90NC00420).

En revanche, lorsqu’un terrain a été submergé, le propriétaire ne peut plus reprendre ce qui lui a appartenu, l’incorporation est immédiate et irréversible.

C’est précisément ce qu’a eu à juger le Conseil d’Etat, dans l’arrêt du 22 septembre 2017, n°400825. Dans cet arrêt, la haute juridiction en refuse le droit au propriétaire de réaliser des enrochements sur une partie du terrain qui, bien que lui ayant appartenu, avait été incorporé au domaine public maritime au jour de la réalisation des enrochements :

« un propriétaire riverain du rivage ne dispose d'aucune espérance légitime de pouvoir conserver son titre de propriété sur les terrains qui sont incorporés au domaine public maritime par la progression du rivage de la mer […] tant l'action publique que l'action domaniale peuvent être exercées contre tout aménagement, ouvrage ou dépôt de matériaux effectué sans autorisation préalable de la puissance publique sur le domaine public maritime, indépendamment de sa finalité. Il en résulte que la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant sans incidence sur le bien-fondé de ces actions la circonstance que la société avait été autorisée en 1969 à déposer des enrochements sur ce qui était alors sa parcelle en vue d'assurer la protection de celle-ci contre les eaux et n'avait procédé aux travaux d'entretien de la digue ainsi constituée que dans le but d'éviter la disparition de cette protection et de prévenir une nouvelle incorporation de sa propriété dans le domaine public maritime, dès lors qu'elle avait préalablement relevé qu'il n'était pas contesté qu'en raison de la progression naturelle du rivage de la mer, cette protection avait fait l'objet d'une incorporation au domaine public maritime dès l'année 2004 ».

Autrement dit, en l’absence d’autorisation expresse de l’Etat, les riverains du littoral ne peuvent plus réaliser ni entretenir les digues situées sur des parcelles incorporées au domaine public maritime.

Il est donc impératif pour tout riverain du littoral d’entretenir en temps utile les digues et enrochements lui appartenant, ce qui n’est pas toujours faisable en raison du linéaire de côte à protéger et des coûts induits.

 

4. Quelle indemnisation ?

Lorsque la contestation de l’appartenance du bien au domaine public maritime s’avère impossible, se pose la question de l’indemnisation des propriétaires lésés.

Par un arrêt du 22 septembre 2017, SCI APS, n°400825, le Conseil d’Etat a précisé qu’une indemnisation ne pouvait intervenir que dans des circonstances particulières :

 « si le législateur n'a prévu aucun droit à indemnisation au profit des propriétaires dont tout ou partie de la propriété s'est trouvée incorporée au domaine public maritime naturel du fait de la progression du rivage de la mer, les dispositions du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ne font pas obstacle, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel sans méconnaître la portée de la décision du Conseil constitutionnel, à ce que ces propriétaires obtiennent une réparation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour eux une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par ces dispositions. Ces mêmes propriétaires sont également fondés, le cas échéant, en vertu d'une jurisprudence constante, à se prévaloir d'un droit à indemnisation dans l'hypothèse où ils justifient que l'incorporation au domaine public maritime de leur propriété résulte de l'absence d'entretien ou de la destruction d'ouvrages de protection construits par la puissance publique ou de la construction de tels ouvrages ».

 

Concernant la première hypothèse de droit à indemnisation, sous la plume de la haute juridiction administrative, le caractère « exceptionnel » du droit à indemnisation fondé sur un préjudice « spécial et exorbitant, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi » confine à une quasi-absence de droit à indemnisation dans la majorité des cas.

Il est à espérer que posséderait un caractère exceptionnel l’incorporation d’installations non encore amorties, dans un secteur où l’évolution du niveau de la mer n’était pas prévisible lors de leur édification, et que le transfert de propriété aurait des conséquences significatives sur la situation financière du propriétaire.

Néanmoins, il existe actuellement peu de décisions sur lesquelles s’appuyer pour fixer les contours de ce nouveau principe.

Nous rappellerons simplement que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2013-316 QPC du 24 mai 2013, avait simplement fixé un garde-fou très limités quant aux incidences de l’évolution du trait de côte, admettant que les conséquences d’une incorporation au domaine public maritime ne devaient pas avoir pour effet d’imposer à un propriétaire ayant réalisé régulièrement une digue, de la démolir à ses frais une fois que celle-ci intégrait le domaine public…cette solution est donc très éloignée de la reconnaissance d’un droit à indemnisation de la perte de la valeur vénale du bien.

En tout état de cause, l’incorporation d’une parcelle non bâtie, liée à une évolution prévisible du niveau de la mer n’ouvrira aucun droit à indemnisation sur ce fondement.

 

La seconde possibilité de droit à indemnisation concerne l’hypothèse dans laquelle l’incorporation résulte d’un défaut d’entretien de digues, de leur destruction, voire est en rapport avec la construction de tels équipements.

Dans ces hypothèses, il incombera encore au propriétaire lésé d’établir :

  • soit une faute de l’administration s’il est considéré comme un usager de l’ouvrage,
  • soit le caractère anormal et spécial de son préjudice, s’il est tiers par rapport à la digue.

 

Quelle que soit la situation, l’Etat ne proposera pas spontanément d’indemnisation au propriétaire lésé.

 

5. Quels recours ?

Pour une personne possédant une parcelle soudainement incorporée dans le domaine public, ses moyens d’action consistent, comme il a été évoqué, à critiquer la matérialité de la submersion, ou de démontrer que son titre de propriété est antérieur à l’Edit de Moulins ou résulte de la vente de biens nationaux, ou encore in fine de tenter d’obtenir une indemnisation en application du principe fixé par le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 22 septembre 2017.

 

En revanche, la situation de la personne ayant acquis à tort, par acte notarié,  une dépendance du domaine public est tout autre. 

En effet, celle-ci pourra obtenir devant le juge civil l’annulation de la vente, ou encore des dommages et intérêts en agissant contre son notaire (s’il a commis une faute).

De plus, dans l’hypothèse où cette vente a été passée au regard de documents administratifs affirmant par erreur que le bien n’appartient pas au domaine public, il lui est encore possible d’engager la responsabilité pour faute desdites personnes publiques.

Récemment, le Cabinet Blanquet a engagé avec succès ce type d’action, et a obtenu par un jugement du Tribunal Administratif de Rennes du 31 août 2017, la condamnation de l’Etat et d’une commune à indemniser le propriétaire qui avait acquis, sur la base de documents administratifs erronés, une dépendance du domaine public, reprise d’autorité par l’Etat 40 ans après son acquisition.

 

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Par conséquent, lorsqu’un bien est incorporé dans le domaine public, ou risque de l’être, il appartient au propriétaire de procéder sans attendre à une analyse précise de la situation, afin de mettre en œuvre les actions idoines lui permettant de défendre efficacement ses intérêts.

 

Ronan Blanquet

 

 

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